Il faut s'accrocher, tant ça remue, tangue, vibre, suinte d'émotion et de sublime. Un spectacle indéfinissable, totalement atypique, original, contraire à l'air du temps. Une création profondément autonome d'une artiste en dehors des modes et qui ne suit que l'exigence de la beauté, de la densité, de la magnificence. Et puis, quelle unité entre les danseurs, les comédiens et les musiciens ! Que ne peut l'art quand y règnent la ferveur et la gratuité ! # écrit le 14/10/24
C'est tellement beau et incroyable que, à chaque minute, on a envie de crier aux comédiens : "Stop ! Refaites-le-nous, s'il vous plaît !" Car, ici, c'est une suite de tableaux si extraordinaires, où chaque détail sonore, visuel, costumier, verbal est tellement travaillé et original qu'on voudrait goûter chaque seconde. Par exemple, la scène de l'abandon de l'enfant par une femme très touchante, et de son "repêchage" par une autre tout aussi émouvante, est un chef-d'oeuvre d'émotion tragique. Et la partie texte, assez réduite, du spectacle, est complètement déchirante de folie et de désespoir. Bref, un spectacle ô combien étrange qui nous fait quitter le sol et, quand tout s'arrête à la fin, c'est aussi désagréable et frustrant que de se réveiller du rêve le plus surréaliste. Dur retour au quotidien... Si j'étais une souris, je me glisserais dans ce théâtre de dingues pour assister gratuitement aux répétitions. J'en redemande ! # écrit le 26/10/22
Hier, première de Dementia Tremens dans mon théâtre parisen préféré (j'étais en manque depuis le confinement). Je n'avais jamais vu une telle bousculade ni une telle queue à la porte : contrôle sanitaire oblige. Une fois la porte franchie, plongeon dans un délire encore plus extrême que d'habitude : fanfare tonitruante à l'accueil, ébats d'un fou et d'une religieuse dans un lit au milieu du bar, poète monstrueux (visage masqué par un bas, hurlant ses vers, la tête coincée dans la porte des toilettes), et j'en oublie. Bien qu'accoutumé aux excès de la géniale metteuse en scène polonaise, j'avoue avoir été perturbé par cet accueil " musclé ". Mais j'en redemande. Quant au spectacle lui-même, aussi extraordinaire que les précédents. Aucune baisse de qualité, et les pauvres artistes savent tirer profit de leurs masques antivirus ! Quelle force, quelle énergie, quelle folie ! Mais surtout, quel art ! Fortement déconseillé aux amateurs de théâtre banal, rassurant, conforme, chiant ! # écrit le 25/10/20
Je sors de la première d'"Yvona", où je m'étais précipité, non par amour débordant de Gombrowicz, encore moins par goût pour sa pièce inexistante "Yvonne, princesse de Bourgogne", mais pour voir à quelle sauce Elizabeth Czerczuk, géniale cuisinière, avait assaisonné une oeuvre qui me laisse froid. Car, chez cette metteure en scène, tout est dans la sauce ! Une sauce succulente et capiteuse qui vous ferait aimer le moins ragoûtant des mets. Qu'elle touche à Witkiewicz, à Gombrowicz ou à n'importe quel autre, le plat qui sort du four ne ressemble à nul autre et vous fait trouver fade toute la gastronomie mondiale. Son "Yvona" ? Du gâteau. Un gâteau dont on peut reprendre à volonté, sans risque d'indigestion. Et du rêve. Un rêve qui n'en finit pas, pour une fois, un rêve non frustrant, un rêve dans lequel on s'installe, par lequel on oublie le monde extérieur, et dont on se réveille à la fin tout imprégné d'une lumière, d'une sonorité, d'une chorégraphie à la beauté sauvage, servie par une troupe de danseurs à la gestuelle onirique et inquiétante. Il faut bien cela, car, côté texte, on reste sur sa faim : les éructations des comédiens, le plus souvent inaudibles, ne permettent pas de saisir une intrigue, une trame, une histoire. Peu importe : comme dans les plus beaux rêves, ce qui compte, c'est de jouir de l'instant, de l'ambiance, toujours unique dans ce théâtre où règne la surprise. On comprendra plus tard, ou jamais. On se souviendra surtout du martyre d'Yvona l'inadaptée, la mal dégrossie, ballottée, tel un taureau de corrida, au milieu d'une cour royale perverse et cruelle. Bien sûr, Elizabeth Czerczuk, dans le rôle-titre, joue de sa sublime beauté, une beauté intrinsèque aussi bien que scénique, mais est-ce coupable, et s'en plaindra-t-on ? Un bémol, toutefois, à ces louanges : le recours un peu facile, heureusement éphémère, au "Requiem" de Mozart, ce sucre qui adoucirait le plus aigre des aliments... Le reste de la musique est aussi puissant qu'original, tout comme les éclairages et la chorégraphie. En somme, du grand, du très grand spectacle, où l'on ne comprend pas grand-chose mais où l'on vibre jusqu'au tréfonds. Une fois de plus, le Théâtre Elizabeth Czerczuk fait la démonstration de son incommensurable puissance créatrice. # écrit le 18/10/19
C'est dense et beau comme un de ces cauchemars qui vous révulsent et vous donnent la chair de poule mais dont vous regrettez de vous être réveillé. Vous entrez dans le théâtre en vous disant : "À quoi bon aller au spectacle, quand la vie me donne tout ?" et vous en ressortez, trois heures plus tard, en vous demandant : "À quoi bon vivre, après un tel spectacle autrement riche ?" Mais un cauchemar de luxe, où l'inquiétant clair-obscur expressionniste se marie sublimement avec le martèlement sonore d'une série de musiques toutes aussi orageuses les unes que les autres. Imaginez un feu d'artifice bloqué, à cause d'une erreur technique, en position bouquet final du début à la fin : voilà Les Inassouvis, des fous dangereux du début jusqu'aux morts-vivants de la fin, en passant par la démone en chef du milieu (la Czerczuk en personne) et son fils pathétiquement tonitruant (Zbigniew Yann Rola). Vertige garanti. # écrit le 15/10/18
Ionesco, ou la drogue des inadaptés. Quel plaisir, ce bain d'absurde et d'humour noir quand on souffre de la rationalité des hommes et du conformisme de la société ! Merci aux acteurs, qui semblent fraîchement sortis de leurs tombes, de servir si bien l'esprit du grand-maître déconneur. Les rires dans la salle sont aussi le signe d'un reste de bonne santé mentale chez nos contemporains. # écrit le 28/04/18 , a vu cet évènement avec BilletReduc.com
J'étais à la première, avant-hier sur la péniche. Comme toujours chez Callandreau, c'est charmant, efficace, enlevé, spirituel, souriant... Un bon échantillon de notre culture à laquelle nous sommes tant attachés. De ces Jacques-là, on ne se lasse pas. # écrit le 26/04/18
J'étais à la première, hier. Dans le minuscule écrin du Théâtre des Trois Bornes, j'ai trouvé un bijou : du Molière en miniature, un diamant dont ne manquait aucune des célèbres facettes – la langue d'abord (ah, "ma mie" !), mais aussi le génie de la dramaturgie, l'esprit railleur, la façon si propre au cher Poquelin de poser des problèmes graves sous des dehors plaisants (la domination du père sur sa fille, l'arnaque médico-pharmaceutique...). Le tout mis en scène à la sauce Callandreau, dont on connaissait déjà le vrai talent, et qui nous fait le plaisir d'apparaître (hydre à plusieurs personnages) lui-même sur la scène. Tous les acteurs sont bons, mais j'ai été bêtement frappé d'un détail : l'acteur qui interprète le malade a un visage et des expressions qui sont très exactement comme on imagine qu'étaient le visage et les expressions de Molière lui-même. Troublant ! Le jeu des métamorphoses, certains acteurs jouant plusieurs personnages, était tellement réussi que, au moment du salut des quatre acteurs à la fin, j'avais l'étrange sensation qu'il en manquait la moitié. # écrit le 08/04/18
Fellini, Bunuel, Beckett, Ionesco, Kantor sont morts, hélas et re-hélas ! Heureusement, la Czerczuk (prononcez tchairtchouc), la "Callas de la folie", a pris la relève. Et ça se passe en plein Paris, chaque fin de semaine, au TEC (Théâtre Elizabeth Czerczuk). Dès le seuil de cette "Notre-Dame de l'Absurde", prière d'enlever ses chaussures et son cerveau. Ici, on se laisse faire, ici on vous remplace votre intérieur. Ça fouette, ça révulse, ça chamboule, et l'on en ressort en se disant que la vie moderne n'a pas réussi à tout anéantir. Il reste des îlots d'intensité ! Vive le théâtre polonais d'avant-garde ! # écrit le 14/01/18
Alors que le monde du spectacle manque parfois de respect au public en lui assénant vulgarité ou foutage de gueule, le travail de Raphaël Callandreau et de sa troupe doit être salué pour l'excellent travail d'écriture, de mise en scène et d'interprétation. "Fausse moustache", à l'intersection du théâtre de boulevard, du théâtre politique et de la farce, pose, avec un humour et une efficacité remarquables, certains problèmes du temps, sans ennuyer une seconde. Ce spectacle mérite d'être vu, et son auteur, dont je connais l'humilité, doit être encouragé à continuer de nourrir le public avec un tel talent qui relève aussi bien de la sociologie que de la chorégraphie, ce qui est rare ! # écrit le 22/09/15