On a tous lu "Vipère au poing", et l'on a plus ou moins vibré, selon sa sensibilité, au face-à-face d'une mère marâtre, un peu dénaturée, avec sa progéniture en révolte, personnifiée surtout par Jean, le plus rebelle de ses trois fils. J'avais eu l'occasion de voir Alice Sapritch donner la mesure de tout son talent dans le télé-film adapté de ce livre-culte par Pierre Cardinal, et plus tard j'ai vu aussi Catherine Frot dans un registre différent, plus pointilliste, reprendre pour le cinéma le rôle de la méchante Folcoche, dans le film de Philippe de Broca. Je croyais avoir pour le coup épuisé le "plaisir du texte" et de sa représentation, quand m'est parvenu l'écho d'une version théâtrale, une première d'ailleurs pour ce roman naturaliste très scénographique, proposée par une jeune équipe. J'y suis allé un peu en traînant les pieds, parce que je n'attendais plus grand-chose de cette oeuvre très connue et devenue en quelque sorte un classique, entre le boulevard et la comédie dramatique. Mais la performance du jeune Aurélien Houver, que des amis m'avaient vantée, m'a vraiment enthousiasmé et fait passer une excellente soirée. Ce jeune homme prometteur a une présence, un abattage et une variété de jeu. Car il a ce don de la métamorphose, au service d'une incarnation-minute de personnages et de types humains différents : le spectateur assiste médusé à tous ces changements de ton, de silhouette et de comportement, et on sort de là ébloui, comme d'une vision kaléidoscopique. Il faut aller applaudir ce garçon, et lui souhaiter un bel avenir. # écrit le 26/10/19