Théâtre contemporain: Hyenes

-HYENES
J'ai été tout de suite , avant d'entrer dans la salle, destabilisée par la volonté « annoncée » de mise en scène d'isoler les hommes des femmes, les couples, les amis. Cette répartition m'a semblée factice, amusée même, je n'ai pas compris au départ combien cela allait me fragiliser, me rendre vulnérable, m’isoler de tout soutien tout au long du spectacle. Cet homme sur scène, qui va sortir comme un ver d’une chrysalide de tissu ne va pas renaître sous mes yeux, non, il va mourir, demain. Il lui reste une nuit à vivre, et c’est à moi qu’il va raconter son histoire, AVANT , pendant plus d’une heure, m’entraîner dans sa « différence », il est homosexuel, sa « folie » meurtrière, il a tué sa mère et son ami, sa souffrance. Il est certes jugé coupable , mais coupable de quoi ? Il m’explique son histoire, son enfance, une trépanation antérieure, ses tortures, ses démons , et les fait revivre sous mes yeux … Il m’agresse, verbalement, plusieurs fois il me prend à partie, les yeux dans les yeux, crache devant moi, je soutiens son regard, et c’est terrible, tellement il arrive à me faire vivre son personnage, et à travers lui je partage intensément ses souffrances, physiques et mentales. Il m’agresse aussi sexuellement, car ses pratiques sur scène me heurtent violemment, mais comment pourrais-je le comprendre s’il n’allait pas jusqu'au bout de l'intime,dans la révélation de ce qu’il est vraiment.A travers cette violence, cette sort de folie, c’est aussi sa fragilité qu’il m’exprime avec désespoir. Il me fait peur, aussi. Vraiment peur tellement il me semble réellement malade. Et je redoute le moment où il va encore se tourner vers moi et planter son regard désespéré dans le mien . Oui, j’ai peur, j’ai peur avec lui, j’ai peur pour lui. Il m’atteint et c’est terrible de vivre avec lui SA souffrance. Peur ? Pas seulement, parce qu’il me fait même mal… quand il me heurte physiquement, brusquement d’un coup au genou en se retournant vivement . Mais il m’émeut, aussi, m’attendrit, quand il me demande un mouchoir pour éponger le sang … Non, je n’en ai pas dans mon sac, mais si j’en avais eu un, je lui aurais donné. Et ses mains rougies, ses mains tendues qui me demandent ensuite de l’aide, de la compréhension… j’ai hésité avant de les prendre, car je me suis sentie mal tout d’un coup dans ma peau de spectateur-voyeur qu’il accusait aussi. J’aurais dû, je suis sûre qu’il était prêt à les prendre. Malaise. Pourquoi étais-je là ce soir? J’en ai eu les larmes aux yeux de ne pas oser ce geste vers lui, retenue par un je ne sais quoi qui me poursuit depuis. Ce soir, j’ai vibré à la souffrance de ce personnage comme cela m’est rarement arrivé au théâtre, il m’a fait mal, dans sa tête et dans son corps. J’ai eu peur, seule dans cette salle, trop loin de la personne qui m’accompagnait et qui aurait pu par sa présence physique dédramatiser – c’est pour de faux - me rassurer. J’ai eu honte de moi-même , en tant que citoyenne, face à la justice et à mon ignorance car j’ai eu aussi en tant que spectateur l’impression d’en prendre plein la gueule, de me trouver face à moi-même, face à mes contradictions, mes non-implications, et j’ai emmené ce mal être avec moi. A la fin, … Quand la sentence suprême s’est avérée devenir réalité, pas de recours en grâce … j’ai eu un long frisson dans le noir, j’aurais voulu que la salle reste muette d’applaudissements, saisie comme je l’étais par l’émotion.
# écrit le 28/02/05 , a vu cet évènement avec BilletReduc.com