-Il y a un tsunami d’amour et de pardon dans cette immense heure intime.
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Mon petit grand frère (07/07/2024) Miguel-Ange Sarmiento, Théâtre des 3S 2024_07_07 Il y a du monde ce dimanche après-midi-là dans la salle du Théâtre des 3 S d'Avignon, rue Buffon. Nous venons assister à " Mon petit grand frère ", seul en scène joué par Miguel-Ange Sarmiento. De nous quatre (groupe du festival cette année), pas une, pas un ne sait encore que cela va - qui sait ? - être un moment de théâtre rare dont personne ne sort indemne ; un partage précieux et émouvant dont le coeur, ému jusqu'aux larmes, garde une trace durable, comme un bijou ancestral qu'on se lègue d'humain à humain, dès lors qu'il s'agit d'un deuil complexe à vivre. Les hommes qui parcouraient les rues de l'intramuros pour tracter ce spectacle portaient, sur leur dos, un nounours, une peluche gigantesque, comme une invitation XXL à l'enfance car c'est bien l'enfance qui va être l'invitée d'honneur pour ce " petit grand frère ". Miguel-Ange - souvent appelé... Michel - Sarmiento est l'auteur et interprète de cette pièce intimiste. On apprend qu'il a patienté cinquante ans avant d'oser franchir le pas en 2019 et questionner ses vieux parents muets sur la noyade accidentelle de son frère aîné, dans le bassin près de chez eux, le 9 mars 1971, alors qu'il n'avait que deux ans. Longtemps il n'a rien su ni ne s'est même pas douté de l'effroyable drame dont ses propres parents seront restés, toute leur vie, absolument inconsolables. C'est un passé tu et ce qui est tu, tue, à petit feu, par une culpabilisation insidieuse, par un passé viscéralement impossible à dévoiler, tenu secret pour feinter l'indicible réel. Des jouets, une ritournelle d'autrefois, une marelle... l'histoire commence plutôt comme une jolie histoire, un tout petit garçon nous partage ses souvenirs, son amour pour sa mère dont il ne s'éloigne jamais trop, le bonheur qui était là... mais qui est parti sans se retourner un triste soir de mars. C'est un personnage central, le bonheur, il est interpelé, harangué par l'enfant qui souhaite son impossible retour au foyer familial. L'absence tangible du grand frère est impossible à admettre mais le deuil est vain puisqu'un fantôme permanent habite parmi eux trois. Ni le père ni la mère à jamais foudroyés ne sont en mesure d'alerter ni mieux, d'aider le second fils, celui qui reste, oublier le fils défunt est impensable et vivre avec l'innocent le rescapé n'est pas viable non plus, les silences ne construisent pas, ils enveniment la réalité et Miguel-Ange nous raconte sa vie. Elle est à la fois unique et particulière mais sa singularité nous touche et nous étreint. Son deuil empêché est universel, et le petit garçon n'a de cesse d'en référer à ce grand frère absent, il lui promet chaque jour d'être un gentil garçon sage et obéissant. Il cherche inlassablement à revoir sa mère sourire. Il y a un tsunami d'amour et de pardon dans cette immense heure intime. Le petit Michel va oser redevenir qui il est, se retrouver dans le Miguel-Ange qu'il n'aurait jamais dû cesser d'être, il trouve dans l'alchimie du quotidien la tendresse nécessaire pour magnifier sa survie, la sublimer sur les planches, la vivre pleinement pour grandir et muer. Cette mue me remue profondément, tant d'amour immense m'émeut jusqu'à demain, ce spectacle est un joyau pudique et profond. Je n'oublierai rien. Et je penserai plus tard à venir vivre le cabaret de Carolina que le même comédien hors-pair (hors-mère) joue chaque soir pendant le même festival. Bravo pour ce seul en scène et merci. Tout le plaisir est pour nous, merci. Je t'embrasse. Pascal (Nantes) # écrit le 12/07/24
Ce soir-là, le mardi 9 janvier 1894, les passants rue de Montpensier à Paris, au lieu d'entendre les pas des chevaux tirant carrioles et calèches, furent surpris par des éclats de rire continus. Les portes du théâtre du Palais Royal étaient pourtant bien closes. On jouait une pièce de Georges Feydeau (1861-1922), intitulée : Un fil à la patte. 47663 jours plus tard, soient 130 ans et 6 mois, le théâtre avignonnesque des Lucioles a pourtant lui aussi bien fermé ses portes mais les plus proches remparts d'Avignon sont surpris par l'explosion permanente de tant de zygomatiques réunis ! Inutile de chercher bien loin, la compagnie Viva fête les presque dix ans de cette impayable pièce de l'ami Georges ! L'intrigue de ce vaudeville repose sur un postulat assez simple, Fernand de Bois-d'Enghien déjeune chez sa maîtresse, la diva Lucette Gautier, pour lui annoncer sa rupture et son mariage avec la fille de la baronne Duverger, dont l'annonce est parue dans le carnet du jour du Figaro. Mais avec Feydeau, la vie n'est pas simple et tout se complique à cause de quiproquos qui ne cessent de s'accumuler. Le spectacle remporta un tel succès à l'époque qu'il tint l'affiche durant 129 représentations. Gageons qu'en 2024, le succès amplement mérité permette à la compagnie Viva de tenir aussi longtemps ! La précision d'horloger de l'auteur, dans cet hilarant édifice aux répliques qui fusent et aux incessants rebondissements, permet au metteur en scène d'engager physiquement les comédiens pour empoigner démesurément leurs personnages en état de survoltage permanent. Pour notre jubilation la plus totale et pour le moins sonore, ils se jettent, toutes et tous, à corps perdus dans l'histoire, déployant sans compter une énergie hors-norme, soulevant des montagnes de rires, des tonnes de situations gaguesques, des avalanches de lâchetés, des séismes qu'occasionnent d'innocents mensonges, des quintaux de méprises ou de malentendus tous plus hallucinants les uns que les autres. Et nous, public, on adhère, on piaffe, on éclate, on postillonne, on pleure... Sur le plateau, quelques chaises, un cyclo de fond de scène et surtout... huit comédiennes et comédiens en état de grâce ! La distribution est éclatante, unanime et joviale. Peut-être, un petit plus au passage pour la prouesse résolument physique de Stéphane Brel qui va jusqu'à mettre à nu son Bois d'Enghien et la force BusterKeatonnesque de notre malheureux et irrésistible Bouzin, mais tout le monde est à acclamer ! Et c'est ce qui se passe ce soir de juillet 2024, ovation, ovation et ovation encore ! Coup de coeur hilare, une évidence ! Tout le plaisir est pour nous, merci. Je vous embrasse. Pascal (Nantes) # écrit le 12/07/24
Je m'appelle Georges : embarquement immédiat pour une comédie virevoltante et déchaînée ! Georges ne se remet pas de sa séparation avec Christine. Il déménage à Châtenay-Malabry pour s'apercevoir lors d'un footing matinal qu'il est cerné par des résidences qui portent les prénoms de ses ex. Il cherche à résoudre ce mystère quand une nouvelle construction s'annonce tout près de chez lui, Villa Émilie... La prochaine chérie s'appellerait-elle donc Émilie ? ... Le texte de Gilles Dyrek est jouasse et décapant, franchement drôle, servi sans équivoque par l'énergique mise en scène d'Eric Bu, la scénographie elle-même est astucieuse avec des murs blancs supports pour d'amusantes animations vidéo genre cartoons très toniques. En jouant sur une avalanche de quiproquos, il écrit là un vaudeville contemporain pour le nécessaire et salutaire plaisir de faire rire. Vite, on peut penser à un Feydeau contemporain, survitaminé et haletant ! Quintet de choc pour la distribution : un impérial Grégori Baquet amoureux cérébral et bourré d'auto-dérision hilarante, une Mélanie Page " inconnue de 18h24 " prêtant à son personnage une grâce fluide et adorable, le trio qui complète - Marine Dusehu, Stéphane Roux et Etienne Launay -, redouble de facéties et d'humour qui semble rendre sur scène le jeu jubilatoire et contagieusement désopilant. On me signale que les tickets pour la pièce, en accord avec les Agences Régionales de la Santé de France et de Navarre, peuvent être remboursés par la Sécu - ou vont bientôt l'être... - pour usage effréné de zygomatiques en état optimal de fonctionnement, ce qui contribue grandement à lutter préventivement contre les sinistres troubles cardiovasculaires ! Spectacle, on l'aura compris, hautement recommandé ! Tout le plaisir est pour nous, merci. Je vous embrasse. Pascal (Nantes) # écrit le 12/07/24
Sylvin Rubinstein et Maria, sa soeur jumelle, juifs d'origine russe, devinrent les chefs de file du flamenco dans l'Europe des années 30, sous le nom de Dolorès et Imperio. Entré en résistance après l'invasion des Nazis en Pologne, par le biais d'un courageux major de la Wehrmacht, Kurt Werner, Sylvin effectua ses missions et continua sa carrière, travesti en femme après la mort de sa soeur et de sa mère à Treblinka. Au crépuscule de sa vie, il revient à l'Adria, cabaret berlinois qui marqua le début de leur carrière en 1933. Alors que Joseph, le serveur, va fermer le lieu, Sylvin dévoile son extraordinaire destin : sa brillante carrière de danseur de flamenco brisée, son amour éperdu pour Maria, ses blessures, ses traumatismes et sa fureur haineuse encore intacte. Sur scène, très peu d'accessoires, des tabourets, une table, des drapés et... la musique ! Musique et texte s'entrelacent comme des jumeaux, le flamenco chanté, joué et dansé sur scène nous immerge illico dans l'art que Sylvin et Maria ont magnifié. Les auteurs, accompagnés à la mise en scène d'une Virginie Lemoine inspirée (comme toujours), retracent cette invraisemblable et tragique histoire avec une émotion digne et farouche. La distribution illuminée par Olivier Sitruk au sommet de son art, un François Feroleto époustouflant sans oublier tous les autres poignants et sincères, porte cette pièce avec un élan qui empoigne coeur et âme. Depuis le 7 octobre dernier sans doute, la destinée de Sylvin semble endosser d'autres fardeaux funestes qui mettent les comédiens en larmes au salut final et aux standing-ovation méritées. Sylvin Rubinstein s'est éteint en 2011 à l'âge de 96 ans. Nous ressortons de la salle dans la cour du Théâtre Actuel, l'air y est accablant de chaleur, nous avons peine à reprendre souffle, nos larmes, indéfectibles complices d'un spectacle qui marque, coulent à l'infini. Puissent Maria et Sylvin rester longtemps dans les mémoires. Tout le plaisir est pour nous, merci. Je vous embrasse. Pascal (Nantes) A noter : Les danseurs de l'aube de Marie Charrel (éditions de l'Observatoire) en 2021 est un roman réussi qui rend également hommage à ces jumeaux # écrit le 12/07/24
Plongeons dans la vie de Charlie Chaplin avant qu'il ne soit Charlot, à l'orée de sa consécration américaine. Londres, 1910. Le tout jeune Charlie Chaplin donne un rendez-vous anonyme à Hetty Kelly, danseuse et collègue de Charlie au cabaret de Fred Karno, il en est secrètement amoureux mais compte bien sur la soirée pour lui déclarer sa flamme. Ils se retrouvent par un concours de circonstance au pub le Mitz au lieu du Ritz. Le barman complice fait en sorte que leur soirée se passe au mieux. Charlie a dix minutes de retard.... Tout peut commencer ou recommencer ! La scène de rencontre va se reproduire une puis deux puis trois fois comme dans Un jour sans fin... Annoncée " première pièce de théâtre en France donnée en noir et blanc ", Smile n'a effectivement pas un traitement visuel habituel : décors et personnages sont... en noir et blanc ! L'idée réussie de la pièce, c'est que le barman du Mitz complice du rendez-vous amoureux va donner à Charlie Chaplin tous les ingrédients de son célèbre personnage imminent : il l'affuble d'un chapeau melon, lui donne un parapluie, lui colle une petite moustache postiche, lui offre une démarche chorégraphiée, une gestuelle unique et reconnaissable parmi cent. Le clown universel, notre Charlot prend alors vie et déploie son art pour séduire sa dulcinée. Mais l'hypothèse d'une carrière en Amérique va être le grain de sable empêcheur d'aimer en rond ! Charlie rêve d'Amérique, Hetty va se sacrifier et le laisse partir. L'envie de rembobiner le film et de répéter plusieurs fois le rendez-vous manqué n'y fait rien : les feux de la rampe gagnent ! C'est doux et nostalgique, d'une poésie à la Charlot, j'ai été embarqué d'abord doucement puis comme les scènes ne se reproduisent pas toujours à l'identique, nous changeons de point de vue et le trio alors s'apprécie sous un autre angle ! C'est très joliment ciselé et tendrement présenté, démarrage tout en douceur pour cette année ! Tout le plaisir est pour nous, merci. Je vous embrasse. Pascal (Nantes) # écrit le 12/07/24